Lettre à pépé Charles

Annette Lellouche s’était lancé un défi, écrire pour la jeunesse « Gustave ».

S’adresser à la jeunesse n’est pas une évidence. Et pourtant « Gustave » a séduit un grand nombre de lectrices et lecteurs, des plus petits aux plus grands.
Aussi, « Lettre à Pépé Charles » a pris naissance après de très nombreuses réactions des lectrices et lecteurs de « Gustave » qui voulaient en savoir plus : « Que se passe-t-il après ? ».
Retrouvez les personnages attachants, authentiques et drôles de « Gustave ». Une belle aventure qui saura séduire petits et grands !

L'histoire

Pépé Charles reçoit une lettre qui va bousculer son existence. De qui vient-elle ? Que dit-elle ?
Il veut y répondre mais n’a pas l’adresse de l’expéditeur. Aidé de son amie et voisine Berthe, il se transforme en détective et remue ciel et terre pour trouver les coordonnées de son correspondant.
Les réactions en chaîne ne tardent pas à provoquer des remous au village : Simon adolescent en pleine tourmente, Berthe et son lourd secret, Éloïse et son passé, Bernadette et son handicap, Gérard et son esprit de vengeance…

La « Lettre à Pépé Charles » en fera des héros malgré eux !

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Chapitre 1

I – La rencontre

Comme tous les matins de toute son existence, Pépé Charles s’est levé à l’aube.

Il aime par-dessus tout ce moment magique où la nuit cède comme à regret sa place au jour. Pas tout à fait la clarté du jour et encore  un zeste de nuit.

Il aime observer le ciel se parer peu à peu d’un bleu pur jusqu’au plus loin du regard et le soleil s’imposer en bousculant dame lune.

Il savoure l’instant mystérieux où l’esprit s’éveille à la vie après un long sommeil noc­turne peuplé de doux visages. Sa première  pensée est pour sa rencontre, la veille, avec Simon à la fête du village. La nuit ne l’a pas gommée de sa mémoire, bien au contraire ! Il en est encore tout ému.

Simon, son petit-fils, cet inconnu ! Cet oi­seau tombé du nid en lui pépiant une si belle confidence : il est grand-père et allait l’être à nouveau. Une petite-fille à naître : Noëlla.

Simon et Noëlla. Il prononce à haute voix et à plusieurs reprises ces deux prénoms chargés de symboles. Simon et Noëlla, Simon et Noëlla. Quelques consonnes et voyelles transformées en son cœur en notes de musique ; ou sont-ce les battements qui en rythment le tempo !

Ses poils se hérissent d’émotion, son cœur s’affole comme après un cent mètres, ses oreilles bourdonnent comme si mille abeilles tournoyaient autour de lui pour brouiller les ondes. Simon et Noëlla. Simon et Noëlla. Nul besoin pour Pépé Charles de se questionner. C’est une évidence ! Si son fils Aurélien a choisi de prénommer ainsi ses enfants c’est qu’il a gardé en son moi profond l’amour de ses chè­res disparues, Noëlle sa mère et Simone sa soeur. Les retrouvailles n’en seront que plus émouvantes. Il le fallait ! Il se le jurait ! Simon et Noëlla !

Il frissonne ! Il se secoue ! Il a envie de se recoucher ! Il ferme les yeux ! Il les ouvre à nouveau pour être sûr… sûr de quoi ? Simon et Noëlla… répète-t-il comme anesthésié ! Une seconde il suspend sa respiration, les yeux dans le vague. Le silence l’enveloppe d’un man­teau douillet. Il n’a pas rêvé !

À défaut de retrouver le sommeil, sa mé­moire actionne la machine à remonter le temps. Pépé Charles revoit sa petite échoppe de cordonnier héritée de ses parents. Il y avait connu le meilleur comme le pire ; cette jeune femme Noëlle arrivant chez lui, par une belle journée d’été, boitillant, un es­carpin au talon cassé à la main. Elle avait joué de son charme et de son sens de la persuasion pour que le jeune cordonnier le lui réparât pour le bal du lendemain. S’ensuivit sa dispari­tion. Un chat errant l’aida à la retrouver. Elle était en sang, elle avait été battue. Il avait usé de toute sa patience pour l’apprivoiser et la convaincre de l’épouser. Noëlla était lumineuse et irradiait de bonheur tous ceux qui l’approchaient. Elle devint la reine du village bien qu’elle vînt de la capitale ; une étrangère en quelque sorte ! Puis il connut sa plus grande fierté d’homme à la naissance de sa fille Simone. Elle était ravissante, encore plus que sa maman. Intelligente et douée. Enfin, la panoplie du bonheur s’étoffa d’un autre volet, la nais­sance d’Aurélien, son fils, comblant son orgueil de père.

Hélas, le tableau idyllique fut de courte du­rée. Le diable, jaloux et vindicatif, en prit om­brage,  et fit croiser à sa fille Simone, pédalant sur son vélo, un satané molosse appartenant à un ivrogne invétéré. Là, commença la chute vertigineuse vers le malheur. Les malheurs ! Le soleil déclina peu à peu. Tour à tour Simone, son adorable petite fille, ne survécut pas aux morsures du molosse et Noëlle, sa femme ado­rée, écrasée de chagrin, alla la rejoindre un an plus tard. Son fils Aurélien cria vengeance. Par sécurité, pépé Charles l’éloigna en le confiant à une tante dévouée. Aurélien refusa de revenir à la maison. Il s’éloigna sans laisser d’adresse.

La vie de Pépé Charles se brisa aussi vio­lemment qu’une vague sur la roche dure un jour de tempête. Le reste de son existence, il le vécut comme le survivant d’un tsunami. Sans âme, sans joie ni peine, dans une hébétude to­tale, en semi-inconscience tel le voyageur perdu dans le désert, sans boussole, sans re­père.

Dans son désert, un premier miracle, Gus­tave ! Un arbre planté par son aïeul. Un témoin immuable qui résiste au temps qui passe. Quand la vie à l’intérieur de la maison désertée lui devenait intolérable, Pépé Charles se réfu­giait sur le banc adossé sur Gustave. Pépé Charles le prenait à témoin. Il en faisait son confident, refusant la commisération du voisi­nage. Dans sa détresse extrême, il hallucinait parfois. Il lui semblait entendre son feuillage bruisser en signe d’acquiescement ou de dé­saccord. Gustave, l’ami des mauvais jours, devenu au fil du temps l’ami de toujours.

Dans son désert, un deuxième miracle, une oasis, Berthe son amie d’enfance ! Elle avait réussi le tour de force de garder la confiance de Pépé Charles dans les moments les plus difficiles. Son humour et sa gentillesse l’aidèrent à surmonter son chagrin. Elle ne s’était jamais mariée, se dévouant corps et âme à son vieux copain. Une amitié sans faille les aida à continuer leur petit bonhomme de che­min, leur évitant de s’enfoncer dans des sables mouvants.

Sans l’arrivée providentielle de Noëlle, il aurait vraisemblablement épousé Berthe ; un mariage comme bon nombre de mariages des habitants du village. La promiscuité faisait le lit de bien des couples. Une journée de fête, une invitation à danser. Déjà, tout le monde les voyait mariés. La demande en mariage s’ensuivait inéluctablement.

Mais il n’aimait pas Berthe ! En tout cas pas « d’amour ». Avec Noëlle ce fut le coup de foudre. Comme celui qui remplissait les livres laissés par sa maman et qu’il connaissait par cœur.